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Poète et écrivain engagé, Aimé Césaire a créé par la magie de sa poésie une chaine fraternelle qui relie tous les peuples. Il a influencé une bonne partie de l’élite africaine parmi elle le sénégalais Boubacar Boris Diop, écrivain majeur, dont la lucidité, l’engagement et l’envergure rappellent à bien des égards la génération des chantres de la Négritude. Boris Diop revisite les relations entre Césaire, le monde noir, et son ami Senghor. Il s’oppose à la panthéonisation qui ne serait qu’une récupération sordide de la mémoire d’Aimé Césaire.-( entretiens)-

Boris Diop, pouvez-vous nous dire l’apport d’Aimé Césaire au monde Noir ?

« Césaire n’a jamais fait mystère de son projet prométhéen. Il est clairement dit dans Le cahier d’un retour au pays natal que la seule chose qui vaille, c’est de “recommencer la fin du monde”.

Cela n’a pas dû être facile et on imagine aisément les moqueries des cyniques invitant celui qui « chantait le poing dur » à un peu plus de retenue.Sans doute lui ont-ils lancé bien des fois, comme paraît-il à tel autre poète : Ne crie donc pas si fort, tu ne feras jamais tomber les étoiles du ciel sur la terre. Eh bien, Aimé Césaire a eu raison de ne pas les écouter. L’écrivain qui a littéralement engendré son pays natal s’est hissé à la hauteur d’un homme-peuple, ce que bien peu de leaders ont réussi à être à notre époque. J’ai lu quelque part ces jours-ci que Mandela a découvert Césaire en prison. C’est une belle image : celle d’une évasion, forcément réussie, du détenu de Robben Island et de Pollsmoor grâce à la puissance du verbe césairien. Le poète a eu un impact très fort sur la diaspora nègre mais c’est naturellement avec l’Afrique qu’il a été le plus en fusion. C’est à ce point qu’on a tendance, dans les études littéraires, à le classer instinctivement parmi les auteurs négro-africains. Il est vrai que lui-même se revendiquait, de manière métaphorique, des “ancêtres Bambara”. N’oublions pas non plus qu’il prit avec vigueur la défense de Cheikh Anta Diop quand celui-ci dut faire face dans les années cinquante à une cabale réactionnaire de la Sorbonne. Rien ne symbolise mieux sa relation à l’Afrique qu’Une saison au Congo où il décrit du dedans, comme s’il en avait été lui-même directement victime, la logique d’échec de ces «Indépendances» qui furent, pour ainsi dire, bien indépendantes de la volonté de nos peuples. Et ce texte, on peut en vérité le résumer en une seule phrase, mais terrible : Patrice Lumumba doit mourir. Comme plus tard Sankara, Cabral ou Samora Machel. Pour Césaire, la tragédie congolaise est emblématique de celle de tout un continent, car l’assassin ne tarde pas à instaurer, en complicité avec de puissants intérêts étrangers, un régime de terreur et de prédation éhontée. La mise en évidence de cette collusion entre élites locales et forces extérieures est essentielle dans son analyse de la réalité politique africaine. De n’en avoir jamais eu une lecture raciale lui a permis de garder intacte la fierté de ses origines. C’est pourquoi il n’a pas eu besoin de se forcer pour lancer son fameux “Nègre je suis, Nègre je resterai” aux nains qui lui mordillaient les mollets avec de grandes phrases creuses. On peut dire aujourd’hui qu’avec Fanon et Césaire, deux messages de solidarité très forts nous sont venus de La Martinique au vingtième siècle. Ces deux penseurs ont cherché à remettre en place les passerelles chahutées par l’Histoire et nous ferions mieux de nous en inspirer plus souvent, à l’instar du cinéaste haïtien Raoul Peck et de quelques créateurs africains-americains ou d’Amérique latine.»

Que retenez-vous personnellement de Césaire ?

« En tant qu’écrivain je suis impressionné par la force exceptionnelle de sa langue poétique. Mais il faut savoir que derrière cette apparente fluidité de l’expression, il y a un travail de tous les instants sur chaque mot, une âpre bataille avec les mots pour leur faire rendre gorge. Senghor, qui a été le témoin privilégié de la gestation du Cahier d’un retour au pays natal… écrit que ce fut une “parturition dans la souffrance”. Césaire biffait sans arrêt, revenait sans cesse sur le texte, se fiant plus souvent à la fulgurance des images qu’à leur suggestion de sens immédiate. Et lorsque plus tard avec Moi, laminaire, sa voix s’apaise, ce travail d’épure ne sonne jamais faux, on ne sent à aucun moment le procédé. Le chant césairien n’a jamais rien de vain et si on n’est jamais sûr de la trajectoire du poème c’est parce que celui-ci irradie à l’infini et qu’en elle-même la musique des mots est signifiante. Il est ainsi arrivé à Césaire de forger du sens avec le grondement d’un volcan ou la rumeur des vagues. Ce n’est donc pas seulement beau, c’est aussi très profond. J’aime en particulier ce passage du Cahier d’un retour au pays natal :

Ecoutez le monde blanc horriblement las de son effort immense

ses articulations rebelles craquer sous les étoiles dures

ses raideurs d’acier transpercer la chair mystique

écoute ses victoires proditoires trompeter ses défaites

écoute aux alibis grandioses son piètre trébuchement

Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs !

Ces mots si pleins de maturité, si décisifs pour comprendre la relation Maitre-Esclave, le poète avait à peine vingt cinq ans quand il les a écrits ! Ce tout jeune homme comprend déjà qu’haïr le maître, c’est encore une façon de l’aimer – amour pervers sans doute mais amour quand même – et de se résigner à son pouvoir. Et ce qu’il nous dit de fondamental, c’est qu’à la fin des fins le véritable esclave n’est pas celui que l’on pense. En somme le mépris de la victime pour la force brute qui l’asservit, c’est le commencement de sa liberté. Je peux vous dire, à un niveau purement personnel, que je discute beaucoup, par e-mail ou de vive voix, avec des jeunes d’Afrique ou d’ailleurs. Ils me demandent des conseils et je leur donne toujours en viatique ces vers-là. Ils leur annonçaient il y a longtemps un monde où leur fierté retrouvée serait la sœur de l’action.

Que retenez-vous du couple Césaire et Senghor ?

« D’abord ce que l’on ne dit peut-être pas assez : une très belle amitié. Juste cela, qui a réellement du prix, cette grande affection mutuelle, au moins aussi forte que leur complicité littéraire et idéologique. S’ils avaient été des esprits mesquins, leur entente n’aurait pas survécu à la féroce rivalité qui amène souvent des écrivains d’une même génération à s’entre-déchirer. Césaire et Senghor auraient pu simplement se croiser sur les chemins de l’exil, en bord de Seine, sans jamais se rencontrer pour de vrai. Ils se sont très vite aperçus qu’ils étaient, au-delà des apparences et des accidents de l’Histoire, d’un seul et même univers, du même peuple noir au corps gravement fragmenté. Leur projet de le remembrer a donné naissance au mouvement de la Négritude. Quand on voit à quel point il est difficile aujourd’hui à des auteurs africains-americains, africains et antillais de se comprendre, ce dialogue paraît d’autant plus précieux et exemplaire. On en arrive parfois à avoir de la nostalgie pour une époque aussi heureuse et finalement bien plus intelligente que la nôtre où les seuls à ne pouvoir même pas se parler, ce sont les opprimés, ceux que le destin a largués sur les rives du néant.

Cela dit, il est souvent arrivé que l’on oppose les deux hommes, en suggérant avec Césaire une sorte de négritude moins portée au compromis, plus à gauche en quelque sorte. La Négritude senghorienne serait, selon cette grille de lecture, lénifiante et pour tout dire réactionnaire. Cette façon de présenter les choses est évidemment confortée par le passage de Césaire au Parti communiste, période de sa vie qui a beaucoup marqué l’écriture du Discours sur le colonialisme. Mais en dépit de tout ce qui semble pouvoir la fonder je ne crois pas, pour ma part, à une véritable opposition philosophique entre Césaire et Senghor. S’il y avait eu de si sérieuses divergences, ils les auraient formulées ouvertement et en toute honnêteté, car ils étaient deux très fortes personnalités. Il me semble que leurs différences de tempérament - et peut-être aussi de formation – ont pu infléchir la voix de l’un ou de l’autre ou lui imprimer un accent particulier, le fond restant le même. Je crois surtout que le Martiniquais et le Sénégalais avaient des expériences radicalement différentes de l’oppression raciale. Il était plus facile à Senghor de se montrer serein. Il faut dire aussi que le mouvement de la Négritude a atteint son apogée pendant la Guerre froide et que cela en a beaucoup brouillé la perception. L’époque rêvait de coupures idéologiques nettes et elle a accouché, paradoxalement, d’une grande confusion sur tous les sujets.»

Pensez-vous que le meilleur moyen de rendre hommage à Césaire est de l’envoyer au Panthéon ?

« Tout d’abord, si vous le permettez, un mot sur le cas de Senghor : on se plaint souvent qu’il n’ait pas eu droit à des funérailles dignes de sa stature. C’est assez étrange parce que cela signifie que seule la France pouvait lui rendre hommage ! Et ses émouvantes obsèques nationales au Sénégal, c’était des sous-obsèques organisées par un semblant de nation, par un peuple comptant pour ainsi dire pour du beurre ? C’est ce qu’on veut vraiment nous faire croire ? Je trouve cela insupportable. Une autre bizarrerie, c’est que pour réparer cette soi-disant erreur, l’Etat français a juste réussi à se fourvoyer une deuxième fois : il n’a rien fait pour Senghor – très sensible aux honneurs officiels – et il en a trop fait, avec un zèle ridicule, pour Césaire qui méprisait tant ce vain décorum ! Le poète martiniquais avait heureusement pris ses dispositions pour éviter le piège de la récupération politique. Ses obsèques ont eu lieu selon sa volonté. On aurait pu en rester là mais il est à peu près certain que la question reviendra un jour ou l’autre sur le tapis. Tout cela est insensé mais justement la France a des rapports irrationnels avec son passé esclavagiste et colonial. C’est le seul pays d’Europe où une loi vante, dans une sorte de délire juridique abstrait, les bienfaits de la colonisation. Le seul aussi dont le président ne supporte pas d’entendre le mot “repentance”. On n’en a que plus de mal à comprendre tout ce mélodrame à propos du Panthéon. Au-delà des arrière-pensées électorales, a-t-on voulu montrer que Césaire, c’était un “aspect positif de l’action de la France outre-mer” ? Il est difficile de prendre au sérieux ces marques de respect, car rien n’a été négligé pendant plusieurs décennies pour détruire le chef du Parti Progressiste martiniquais. Jacques Foccart – chargé des basses œuvres du général de Gaulle et qui n’a jamais laissé personne tranquille – a monté sans succès des opérations pour le discréditer et le liquider politiquement ; Giscard d’Estaing en visite à la Martinique a jugé indigne de lui d’aller à la mairie serrer la main de Césaire. Il est vrai que le président français de l’époque avait d’autres fréquentations, en particulier un certain Jean-Bedel Bokassa ; François Bayrou, lui, avait rayé des programmes scolaires le Discours sur le colonialisme : cela ne l’a pas empêché d’être en bonne place dans le chœur des pleureuses de Fort-de-France ; de même l’écrivain a été ignoré sa vie durant et ce silence sur son œuvre – terrible, parce que presque normal dans un certain contexte racial – redeviendra très vite la règle. La fausseté des sentiments exhibés lors des funérailles de Césaire n’a échappé à personne. Elle aura presque réussi à nous faire rire en dépit de la gravité des circonstances. Qu’on en juge donc un peu par le trouble jeté dans l’esprit du citoyen français lambda… Ce dernier se réveille un 17 avril et entend des cris de douleur monter de tout l’Hexagone. Il tend l’oreille pour connaître le motif de cette lamentation universelle et on lui dit : « Vous ne saviez donc pas ? L’un des plus grands poètes français de tous les temps vient de mourir ! ». Mais non, il ne savait pas ! Personne ne lui avait jamais signalé l’existence de ce poète nommé Aimé Césaire. En plus, quand il regarde la télé il voit un Noir pour qui on propose le Panthéon – rien que ça… – et dont les parents disent sobrement : “Non, merci”. Et puis Nicolas Sarkozy veut aller présider ses obsèques nationales et on lui fait savoir qu’il n’est pas vraiment le bienvenu. Il insiste et on lui signifie une claire interdiction de parole. Il y va quand même, toute honte bue. Tout cela pour un écrivain dont personne ne disait presque mot de son vivant ? Pour le coup, le citoyen lambda ne comprend rien au récit auquel on l’invite à adhérer ! Ce bricolage est dangereux, en ce sens qu’il va servir à refouler encore plus profond un examen de conscience devenu pourtant bien impératif. Le plus urgent est peut-être de se demander pourquoi, au-delà de Césaire et de sa famille, toute la Martinique rejette avec dédain les honneurs d’une République supposée une et indivisible. Après tout, le Panthéon, c’est ce que la France a de mieux à offrir à ses fils méritants. On a bien l’impression que certains d’entre eux se sentent aujourd’hui un peu moins ses fils que d’autres. Et il n’est pas étonnant que la déchirure ait été rendue plus visible par la mort de Césaire. Le poète confirme ainsi, même de l’au-delà, sa fonction de révélateur du réel caché.

Sa dépouille mortelle ne sera sans doute pas transférée à Paris et c’est bien ainsi. L’inscription de son nom sur la crypte du Panthéon est toutefois envisagée. Ce compromis serait lui aussi un acte de pure violence. De toute façon notre mémoire sera toujours pour Césaire le Panthéon le plus sûr et le plus digne de son combat pour une humanité plus juste et fraternelle. Et le pays de la loi du 25 février 2005 sur “les aspects positifs de la colonisation” ne sera jamais, à vrai dire, très reposant pour l’âme du défunt. Un des fils de Césaire a parfaitement résumé la situation quand il a demandé au Secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer:Vous imaginez mon père enterré dans le Vème arrondissement ?C’est en effet une idée incongrue et tout à fait choquante.»

Propos recueillis par El Hadji Gorgui Wade Ndoye, directeur de publication.