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 . Au milieu des bombes et des balles, à Ouagadougou, un jeune  est allé sauver le portrait de Sembène Ousmane ! Qu’avons nous fait de ce patrimoine au Sénégal ?

. Il faut sauver les NEAS qui ont édité les chefs-d’oeuvre de la littérature sénégalaise.

 

(GENEVE-SUISSE)- L’émergence sans la culture serait une erreur voire sa réalisation utopique notamment dans un pays qui doit sa notoriété internationale à sa diversité et à son génie culturel. Invitée d’Honneur du Salon africain du Livre et de la Presse 2015, à la suite d’une tournée européenne de promotion du film qui lui a été consacrée par Sylvie Moser réalisatrice suisse, Ken Bugul  qui a dignement représenté le Sénégal, a expliqué aux populations occidentales la richesse de notre culture et ses complexités. Dans cet entretien exclusif, l’immense écrivaine avec sa posture de la Grande royale de Cheikh Hamidou Kane fait un appel pour la sauvegarde de la maison d’Ousmane Sembène, des Nouvelles Editions Africaines du Sénégal (NEAS), revient sur la santé de la littérature sénégalaise d’expression francophone et salue Mbougar Sarr lauréat du Prix Kourouma remis à Genève en présence de l’Ambassadeur Bassirou Sène, Représentant permanent auprès des Nations Unies. 

 

ContinentPremier.Com (CP): Quelle devrait être la place de la culture dans la politique dite démergence sénégalaise ?

 

« Le Sénégal a la réputation mondiale d’un pays de culture, de littérature, de grands hommes et de femmes, comme Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop, Birago Diop, David Diop, Abdoulaye Sadji, Ousmane Socé Diop, Mariama Bâ,  Cheikh Hamidou Kane, Cheikh Ndao, sans compter Boubacar Boris Diop et la nouvelle génération avec Felwine Sarr, et toutes celles que j’ai citées plus haut…

 

Et partout dans le monde, l’évocation du mot Sénégal renvoie à la littérature, aux arts, à la culture. Maintenant, on voit que l’Etat investit moins. Je sais que nous sommes dans l’émergence, mais je pense que l’émergence sans la culture ne peut pas donner un développement harmonieux. Le président de la République, Macky Sall a une volonté évidente et une politique de faire quelque chose pour la culture. A ce titre, l’Etat a donné un miliard pour le cinéma, il faudrait cependant qu’il donne un milliard aussi chaque année pour l’édition, mais que ce soit bien géré.

 

Comment comprendre la disparition annoncée des NEAS (Ndlr Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, maison d’éditions fondée en 1972 par Senghor) alors que les chefs-d’oeuvre de la littérature sénégalaise y ont tous été édités. C’est le cas d’Une si longue lettre de Mariama Bâ, La grève des Batu d’Aminata sow Fall,      Le baobab fou dont on parle partout dans le monde, Le temps de tamango de Boris etc. Où a été édité Abass Ndione dont un de ses livres a été adapté au cinéma puis récupéré par les Editions Gallimard. Aujourd’hui, les Nouvelles Editions Africaines sont menacées d’expulsion, le personnel ne trouve plus de salaire ! Il faut quand-même faire quelque chose pour cette culture.

 

Comme le disait Senghor, le développement sans la culture ce n’est pas possible. La culture, c’est l’Homme. L’Homme n’existe que parce qu’il a une culture. L’Homme est au commencement et à la fin du développement. Je fais donc un appel à nos autorités, et je profite de l’occasion qui m’est offerte et de l’Honneur qui m’est fait en tant qu’invitée d’honneur du Salon africain de Genève 2015, de demander au Président de la République de mettre l’accent sur la culture, la littérature, l’édition, la diffusion et la promotion de nos oeuvres. C’est fondamental ! »

 

Ken Bugul (K.B): C’est un vibrant appel pour que la culture reste ce qu’elle a toujours été au Sénégal. On sait aussi selon certaines de nos informations que la Maison de l’écrivain et cinéaste Ousmane Sembène serait en ruines. Avez-vous une idée pour que cette maison et le grand Sembène ne tombent pas réellement dans l’oubli ?

 

« En ce moment, son fils cadet et sa mère habitent dans cette sublime maison au bord de la mer dans le quartier de Yoff . Cette demeure n’a plus d’entretien, les murs commencent à s’effriter, si on n’y prend pas garde elle peut s’écrouler. Son architecture soudano-sahelienne celle que nous devrions tous adopter et adapter, est voulue par ce grand cinéaste mondialement connu qu’est Ousmane Sembène.

 

Nous lui avons rendu hommage dans un de nos panels au Salon du Livre de Genève, il sera présent à travers son œuvre cette année encore au Festival de Cannes, alors qu’il est mort !

 

C . P: Qu’avons-nous fait de l’héritage de Sembène Ousmane au Sénégal ?

 

K. B : Au Burkina Faso, une suite de l’hôtel où Sembène descendait pour le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), porte son nom. Pendant les émeutes récentes, lorsqu’on a saccagé l’hôtel, quelqu’un s’est emparé d’un grand portrait de lui, qui faisait 1 mètre 50 sur 2 mètres, et au milieu des bombes lacrymogènes, il tenait son tableau. Lorsqu’on lui a demandé qui c’était, il a dit : « C’est Sembène Ousmane, il faut le protéger ». C’était au milieu des bombes et des balles, Ouagadougou était en émeute. Il fallait sauver la photo de Sembène Ousmane qui était dans l’hôtel saccagé. Que d’autres le fassent ? Mais que représente-t-il chez lui ? Je pense que l’Etat sénégalais doit racheter la maison de Sembène, comme Abdou Diouf  l’avait fait en rachetant la maison de Birago Diop à ses héritiers pour en faire le siège de l’association des écrivains du Sénégal, comme l’a fait aussi Abdoulaye Wade avec la maison de Senghor qui est transformée aujourd’hui en musée. L’Etat doit acheter la maison de Sembène pour en faire un musée du cinéma, où il y aurait une salle de cinéma, où il y aurait de la formation en montage, en caméra, etc car il y a de l’espace. Cette magnifique maison qui donne sur l’Océan atlantique, s’appelle Keur Ceeddo et qui est un patrimoine. Pourtant elle est aujourd’hui non reconnaissable. Quand on passe devant, on se demande où est la maison de Sembène tellement les murs sont décrépis, il n’y a plus de peinture, les clôtures tombent...

 

Je fais un appel vibrant au chef de l’Etat Macky Sall pour tout faire pour acquérir cette maison et en faire un musée du cinéma et que ça serve comme patrimoine, non seulement pour le Sénégal mais aussi un patrimoine pour l’Humanité ».

 

C. P : Ken Bugul vous êtes l’invitée d’honneur du Salon du livre 2015 de Genève. Que ressentez-vous à la fin de ce salon ?

 

K. B : « Je me disais que ma modeste personne ne valait pas cet honneur et j’en suis comblée. Cela me fait plaisir, tant pour moi que pour les auteurs africains, et pour les auteures-femmes. Etre une femme sénégalaise, et d’un certain âge, par rapport à cette jeune vague de tant de talents, et être à Genève dans une ville que j’adore et dans un pays que j’aime en tant qu’invitée d’honneur du Salon du livre, est une reconnaissance et une consécration qui me font profondément plaisir et j’en suis touchée ».

 

C. P : Vous avez parlé de la littérature féminine qui se développe avec de jeunes talents. Peut- on dire que la littérature africaine d’expression française est sur la bonne voie ?

 

K. B : « Absolument parce que dans les années 1990-2000, il y a eu un flottement, on se demandait ce qui se passe au Sénégal, dans un pays qui avait tant d’auteurs, et tant d’auteures-femmes. On oublie que dans les années – 80, il y avait plus de femmes écrivaines que d’hommes écrivains. Il y a eu la génération  des Adja Ndèye Boury Ndiaye, Ndèye Coumba Mbengue, Mariama Bâ, Aminata Sow Fall, Annette Mbaye d’Erneville etc. (Votre serviteur à l’auteure : n’oubliez pas Ken Bugul !).

Après cette génération d’un certain âge, nos aînées, il y a nos talentueuses sœurs : Ndèye Sokhna Benga, Ramata Sambe qui était ici au Salon du livre, Nafissatou Diouf qui est actuellement à Paris, les auteures de la Diaspora, Khady Anne, Fatou Diome etc. Et tout d’un coup, on voit un renouveau littéraire au Sénégal, même avec des gens qui ne sont pas connus. Beaucoup de maisons d’édition voient le jour, et beaucoup d’auteurs sont édités sur place.  Malheureusement la promotion du livre ne suit pas et c’est quelque chose sur laquelle on devrait beaucoup travailler : faire connaître les oeuvres qui sont éditées sur le continent africain. Je pense que l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et les services culturels des ambassades africaines dans les pays européens devraient faire l’inventaire de tout ce qui est édité en Afrique et le faire connaitre à l’extérieur. De bons salons du livre en Afrique permettent aussi de faire connaître toute cette production.

 

C. P : Mohamed Mbougar Sarr, un jeune Sénégalais, a eu le prix Kourouma du Salon 2015 dont vous êtes l’invitée d’Honneur, quel commentaire faites-vous de la distinction de ce jeune prodige ?

 

K. B : « Mohamed Mbougar Sarr, né en 1990 –je pourrai être sa grand-mère- fait un premier roman ( Ndlr Terre Ceinte, Editions Présence Africaine) et c’est un premier succès ! Il a écrit sur des thématiques contemporaines qui nous interpellent tous et les a traitées avec maestria et tant de talent pour un jeune homme de 24 ans ! Il a honnoré le continent, les mamans et les grands-mamans. Je pense que ce prix va stimuler d’autres créations ».

 

Propos recueillis, à Genève, par El Hadji Gorgui Wade Ndoye, directeur des publications du magazine panafricain