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Parole et Présence par Felwine Sarr, économiste et écrivain

Publié le, 05 novembre 2011 par Felwine Sarr

Une petite gêne m’habita lorsque l’on me demanda de faire un papier sur les 50 ans d’indépendance du continent africain, de raconter ce demi-siècle en prenant une perspective personnelle. Je soupçonnais que le lecteur attendait peut-être de moi que je fasse quelque chose comme un bilan économique et sociopolitique de ce demi-siècle de souveraineté politique, et que fatalement j’y dise quelque chose comme : l’Afrique n’a pas décollé, d’ailleurs que pouvais-je dire d’autre, n’était-ce pas un fait attesté par tous les indicateurs ? Peut-être s’attendait-on aussi à ce que j’analyse les causes de ce retard et/ou que je projette des espoirs, ou même que je déconstruise un discours afropessimiste par un optimisme nécessaire et pathétique avec des phrases du genre : « l’Afrique, bien sûr que c’est le continent de l’avenir ! » niant par la même occasion sa présence au temps présent.

Cette gêne persistante s’est peu à peu dissipée lorsque m’est venue l’idée de parler plutôt de Présence et de Parole. D’interroger la présence ainsi que la prise de parole des Africains, réputés hommes de l’oralité, dans un monde où le temps s’est accéléré, où la parole longue qui se déployait dans un temps infini est désormais sommée de se contracter, de parer au plus urgent et d’accorder son mètre à la nouvelle temporalité.  Il m’a semblé alors que jusque-là, la prise de parole des Africains s’était principalement faite sur le mode justificatoire. Par le passé, justification de l’importance de nos valeurs de civilisation, de nos identités culturelles, de notre présence au monde : contre-paroles et contrepoints nécessaires en ces temps-là. De nos jours, justification de nos capacités à prendre le train du monde en marche, à hausser notre rythme propre pour battre le bitume à la cadence mondiale.

Rarement, trop rarement celle-ci ne s’est installée sur le mode créatif, hors de la dialectique de réaction-justification que lui imposèrent les discours racistes et nihilistes porteurs de l’idéologie de la tabula rasa.  Peut-être était-il temps, un demi-siècle plus tard, que cette parole se dise simple, nue, sans apprêt, en dehors des évaluations, simplement sur le mode libre de la présence à soi. Qu’elle se dise à travers les lieux multiples qu’elle habite : corps, marche rythmée, danse, vêtements, habitat, musique, littératures, art de vivre, savoirs traditionnels et sciences modernes, métaphysiques et cosmogonies, qu’elle dise l’homme qu’elle a contribué à édifier.

Aussi, ai-je désiré rompre avec les catégories habituelles de l’analyse et du bilan en répudiant,  malgré leur utilité relative, les critères d’évaluation que sont indicateurs socioéconomiques et sociopolitiques. Une des catégories fréquemment utilisée est la relative richesse ou pauvreté d’une nation, appréhendée par son PIB ou son IDH. Ces agrégats ne se contentent pas d’indiquer un seuil quantifié de « bien être économique et social » qu’il est souhaitable d’atteindre pour un mieux être des populations, mais classent et  hiérarchisent les nations sur une échelle normée, en premiers et en derniers, en doués et en nuls, comme dans une salle de classe à l’école primaire. C’est ainsi que certaines nations se retrouvent pays plus pauvres ou pays moins avancés du monde, pendant que d’autres caracolent en pôle position et deviennent l’horizon à atteindre, le modèle à imiter y compris jusque dans ses ombres. Ces indicateurs censés les qualifier et les désigner que disent-ils d’essentiel de leur être au monde ? J’ai toujours ressenti derrière l’innocence objective et chiffrée de ces indicateurs désignant les Africains, comme pauvres ou sous-développés, la courbure idéologique et la vision unilatérale de l’existence ainsi projetée. J’ai toujours perçu ce que ces qualificatifs sous leur apparente objectivité avaient  d’erroné, de partiel, de limitatif ; j’ai également noté le désir de confinement dans une dimension handicapante de la part de ceux qui préféraient ne voir les autres qu’à travers cette lucarne. Il ne s’agit pas de nier des déséquilibres économiques et sociaux qui existent çà et là et qu’il faut impérativement résorber, mais ce qualificatif (pays pauvres) réduit non seulement la richesse à ses dimensions monétaires et pécuniaires, omet toutes les richesses immatérielles qui constituent l’homme et font sa qualité, limite le champ d’évaluation et surtout le fausse en faisant passer l’avoir avant l’être, la quantité sur la qualité, la matière avant l’Esprit. C’est hélas au cœur de cette perspective inversée de l’homme que nous sommes presque toujours invités à formuler nos évaluations et nos jugements. C’est ce cadre de référence qu’il convient d’abandonner. Il ne s’agit point d’une ruse de normand pour éviter de voir des difficultés bien réelles. Il s’agit de remettre les choses à leur juste place et s’il faut faire une évaluation, c’est bien sous le rapport de la qualité d’être qu’il convient de le faire. Ce que la vie dans ce continent enseigne, c’est que l’homme n’est point réductible à sa dimension économique.

Lors de mon retour sur le continent, l’une des premières choses qui me frappa fut le caractère non policé du langage. L’on nommait les choses telles qu’elles étaient ou telles qu’elles apparaissaient. La parole désignatrice y était encore sauve des euphémismes qui transforment un aveugle en non-voyant et un massacre en dégâts collatéraux.

La parole dit la présence. La présence est fille de la persistance de notre être au monde, elle somme les expériences, les vécus, les tribulations, les accomplissements : toutes les dimensions du vécu d’un peuple se subsument et se reflètent dans l’acte de sa présence au monde. Le bilan de ce demi-siècle passé des pays africains, mais également de son histoire plus ancienne, est dans sa qualité de présence au monde. Cette présence dit le temps passé, présent et suggère l’à-venir. Elle tient lieu de bilan car en elle s’est opérée l’alchimie des expériences diverses. Ces cinquante dernières années sont dans cette présence, celle-ci reflète ce qui a résisté au temps, ce qui s’est adapté, ce qui s’est dissipé. Que dit cette présence : que l’homme africain est un être riche d’expériences de vie, de sensibilité, de générosité, de courage, d’acuité de regard sur la condition humaine, que c’est un être vibrant de vie qui ayant exploré tous les versants de la condition humaine se tient là et offre au monde ses élans.

Ces dernières semaines, j’ai rencontré des jeunes lycéens et étudiants pour échanger autour de la littérature, ici au Sénégal et là-bas au Rwanda. J’ai été frappé par leur vivacité, leur intelligence, l’acuité du regard qu’ils portaient sur le monde, mais également par leur soif. Evidemment, il faudra consolider les cadres de l’épanouissement de cette vitalité débordante. Mais ce pays, le Rwanda, dans un élan collectif et conscient construit ces cadres à grande vitesse : environnement, organisation sociale, conscience collective.

J’ai choisi une perspective rwandaise pour parler de présence, car ici dans la région des grands lacs, toute la condition humaine est réunie, ses faces sombres et éclairées s’y font contre-jour.

D’abord, la présence majestueuse des éléments : lacs, rivières, montagnes, volcans, rizières, champs de maïs, de café, bananeraies, marais, champs de papyrus…

Ensuite, la présence des grimpeurs des hauts plateaux : efforts constants d’hommes poussant des bicyclettes chargées sur des pentes montagneuses, funambules du vide, muscles tendus, résolus dans un effort prométhéen à gravir les dimensions de l’être.

Enfin, la présence des voix de la sensibilité en la personne de Carole Karemera débordante d’énergie et de générosité, rentrée au Rwanda y vivre et créer un centre culturel (Ishyo) où elle avive l’urgence d’une parole créatrice, réparatrice de liens sociaux, la seule qui peut-être nous sauvera car la seule capable de construire un vivre ensemble : l’art.

Ce que ces peuples d’Afrique enseignent, ce que disent leurs paroles, c’est l’aspiration à une présence au meilleur de soi-même, en dépit des contextes internes et externes parfois difficiles.

Voici un pays qui en 1994 a traversé un génocide qui a fait plus d’un million de morts. Aujourd’hui, il est porté par des femmes et des hommes qui avec ardeur et méthode reconstruisent leur économie, leur vivre-ensemble, leur espérance. Un regard même furtif ne peut qu’être frappé par la propreté de Kigali, les questions environnementales y sont rigoureusement prises en charge : interdiction des sacs en plastique, tolérance zéro à la corruption, travaux communautaires se chargeant de la propreté de la ville, l’ardeur de la reconstruction soutenue par les rwandais de l’intérieur et ceux de la diaspora aboutit à une croissance économique soutenue depuis quelques années, mais plus important encore à retisser et renouer les tresses du vivre-ensemble. Dans ce pays où l’enseignement se fait dès le primaire en Kinyarwanda jusqu’au début de collège, avant d’être relayé par les langues étrangères, la jeune génération née après 1994 est fière d’être rwandaise et sait que son avenir est à la portée de son ardeur. Preuve simple que les déséquilibres socioéconomiques d’une nation peuvent être résorbés, quel qu’ait été sa situation de départ, il suffit que la foi et le labeur s’en mêlent. Si tout ceci est possible ici, malgré le drame récent, çà l’est ailleurs sur le continent

Au moment où je finis ce texte je suis à Giseny en face du Lac Kivu, des vaguelettes s’abattent sur le rivage comme ceux d’une mer mineure, Goma proche, encerclée par ses volcans, scintille. Cette ville frontalière entre le Rwanda et le Congo flotte dans une humeur bucolique.

Si l’Homme est la fin, le but de l’aventure, l’Homme y est déjà riche, plein. Ceux qui par choix ou nécessité usent de peu des ressources de cette planète, l’ont édifié et d’humanité débordante l’ont l’investi.

 
                                                                                                                   Felwine Sarr, auteur de 105, Rue Carnot et Dahij.
 
Photo/ Felwine Sarr au Salon du Livre de Genève avec l'écrvaine Véronique Tadjo