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Etre Sage Femme au Burkina.

Publié le, 15 mars 2015 par Christian David, Alice MARTIN

Entretien réalisé par  Alice MARTIN et Christian DAVID à Bobo Dioulasso, Burkina Faso.

Entretien – thèmes: droits et statut des femmes africaines, planification familiale, excision, mutilations.

Résumé :

Nous avons rendez-vous avec Rachel Ouedraogo, sage-femme pour l'Association Burkinabé, indépendante,  pour le Bien -Être Familial (ABBEF) dont l'objectif principal est «la promotion de la santé dans le domaine de la reproduction». L'association est reconnue d'utilité publique et financée principalement  par l'Institut International pour la Planification Familiale (IPPF) dont  la maison mère est basée à Londres. L'ABBEF est reconnue par l’État Burkinabé qui affecte même des agents dans cette structure. Rachel et ses collègues interviennent dans le domaine de la planification familiale que l'ABBF a d'ailleurs introduite dans le pays avec beaucoup de difficultés car cela constitue un tabou. Des consultations permettent aux jeunes femmes et adultes d'être reçues sans jugements ni à-priori et de pouvoir trouver des solutions dans un domaine difficile à traiter, particulièrement en Afrique. 

Des consultations sont mises en place pour les soins après avortement, le dépistage sérologique (VIH), la  prise en charge des cas et prévention de la transmission mère-enfant. Des détections du cancer du col de l'utérus sont également proposées. Rachel nous explique sa passion pour son métier, elle a souhaité travailler en contact avec les femmes et a rejoint l'association en tant que bénévole puis, elle a postulé et elle a réussi le test brillamment. Nul  doute que cette jeune femme a la vocation. Elle possède cette capacité d'écoute, cette connaissance sociale et professionnelles qui lui permettent de répondre aux demandes de ses patientes. Rachel nous explique avec cette incroyable douceur mêlée de fermeté, ses difficultés par des exemples, parfois terribles: le statut de la femme, le sida,  l'excision sont abordés sans concession et avec une lucidité déterminée. Nous la  quittons  avec la sensation d'avoir rencontré un ange, une petite femme d'apparence fragile, qui  semble porter, sur ses frêles épaules, toute la douleur de la femme africaine. 

 A Ma première question est simple : pouvez-vous vous présenter rapidement ?

R Bonjour. Je suis Rachel OUEDRAOGO. Je suis sage-femme à l’Association Burkinabè pour le Bien-Être Familial (ABBEF). Nous sommes basés à Ouagadougou, Bobo Dioulasso, Koudougou et Koupéla. Notre objectif est la promotion de la santé de la reproduction, en faveur des jeunes et des adultes :

·      des consultations gynécologiques (dépistage du cancer du col de l’utérus, prise en charge des complications d’avortements, avortements – dans le cadre de la loi –, etc.) ;

·      le dépistage du SIDA ;

·      la planification familiale, introduite au Burkina par l’ABBEF dès la fin des années 70 grâce à la mobilisation d’un groupe de personnes qui se sont indignées devant le seul renvoi des filles des établissements secondaires pour fait de grossesses non désirées. C’est un acte qui se fait à deux et il n’est pas juste que le garçon ne subisse aucune conséquence. Nous avons le droit de jouir de notre sexualité mais nous devons aussi nous montrer responsables. Introduire la planification familiale au Burkina n’a pas été chose facile car c’était un vrai tabou. Heureusement l’Etat a fini par nous accompagner, via la reconnaissance d’utilité publique et l’affectation d’agents, même s’il ne nous finance pas. Nous bénéficions en revanche d’aides de la Fédération Internationale pour la Planification Familiale (IPPF), notre bailleur de fonds principal.

Je suis sage-femme, de la promotion 2002-2005. Je voulais vraiment travailler avec les femmes et leur apporter un soutien réel. Les conditions d’exercice du métier dans la fonction publique sont très difficiles et ne permettent pas, à mon sens, de réconforter les femmes, c’est pourquoi j’ai choisi une autre voie. J’ai commencé par travailler dans des cliniques privées mais je n’y pratiquais que des soins infirmiers dictés par un gynécologue et cela ne m’intéressait pas. Voilà pourquoi j’ai choisi de travailler à l’ABBEF, où j’ai commencé par du bénévolat durant plusieurs mois. J’ai pu être embauchée en 2007, malgré mon manque d’expérience en comparaison des autres candidates sages-femmes, grâce au soutien des patientes.

Je suis donc désormais dans ce centre d’écoute pour jeunes, où nous mettons tout en œuvre pour les conseiller de manière confidentielle et non pas les stigmatiser. Voici un extrait de notre Charte, rédigée par des jeunes : « Donnez-nous l’information et les services dont nous avons besoin, acceptez-nous tels que nous sommes, ne nous faites pas la morale et ne nous démoralisez pas ! ».

A Comment faites-vous pour vous faire connaître ?

R Nous travaillons beaucoup dans les établissements et dans les secteurs (quartiers). Nous formons des professeurs encadreurs dans le domaine de la SSR (Santé Sexuelle et Reproductive). Ils sont chargés de nous envoyer en contrepartie des élèves dynamiques qui peuvent sensibiliser leurs jeunes pairs. Nous les appelons JAS (Jeunes Animateurs de Secteurs) et JACS (Jeunes Animateurs des Clubs Scolaires). Cette année nous avons commencé à nous rendre dans les villages.

Mais, comme le Burkina est grand, il est vrai que nous avons du mal à nous faire connaître partout. Nous devrions peut-être travailler davantage sur notre visibilité. Nous le faisons déjà un peu : nous rencontrons les autorités, nous organisons des émissions de radio, de télévision, également des journées de consultation gratuite, etc.

C Quel est pour vous le déroulement d’une journée type ?

R Nous avons compris que nous ne pouvons pas faire seulement de la planification familiale. C’est pourquoi je vous ai parlé de la SSR, il faut intégrer les services. Une femme par exemple aimerait pouvoir venir peser son enfant, faire sa planification familiale et en profiter pour faire son dépistage du cancer du col de l’utérus, etc. Nous avons compris que lorsque nous faisions seulement la planification familiale, les femmes ne venaient pas parce qu’elles n’ont pas le temps d’aller au CSPS (Centre de Santé et de Promotion Sociale), peser leur enfant, faire la consultation de son enfant, faire le vaccin de son enfant et revenir ici pour un autre service. Nous avons donc décidé de regrouper tous ces actes médicaux en une seule consultation. Un infirmier s’occupe des enfants, il fait la consultation des nourrissons sains, la vaccination et la femme en profite pour la planification familiale. Lorsque la planification familiale était un acte isolé, les hommes voyaient d’un mauvais œil que leur femme vienne consulter. Quoi qu’on dise, cela reste toujours un tabou. Par exemple, une femme peut venir pour une  aspiration manuelle intra utérine en toute discrétion.

A Nous souhaitons maintenant  aborder le  l’excision : que constatez-vous comme dommages sur la femme causés par cette pratique ?

R Je reçois une trentaine de femmes par jour. Sur ces trente femmes, peut-être dix seulement ne sont pas excisées, malgré l’interdiction par la loi depuis 1996. Nous traitons les complications de cycle, de vie sexuelle, de grossesse, d’avortement, dues à l’excision. Nous travaillons avec un gynécologue qui vient pour des consultations chaque jeudi après-midi (les élèves n’ont pas école en général).

Nous avons eu le cas récemment d’une femme dont l’orifice du vagin a été réduit à environ 3 cm suite à l’excision, elle ne pouvait pas avoir de rapports. Elle va être prise en charge à l’hôpital.

Nous avons reçu un jour une jeune fille qui avait de terribles douleurs, le vagin et la vulve bombés de toutes parts. Ses parties génitales avaient été cousues suite à l’excision et le sang de ses règles ne pouvait tout simplement pas sortir. Il a fallu l’emmener à l’hôpital d’urgence où elle a été incisée puis opérée.

A Ces femmes qui souffrent des suites de l’excision font-elles à leur tour exciser leurs filles ?

R L’excision est liée aux croyances, en majorité à des fausses croyances véhiculées d’origine religieuse. Certains disent qu’une femme non excisée est sale, qu’elle va aller courir les hommes ou même qu’elle va porter malheur à son mari, qu’il ne faut pas écouter ce que les blancs disent, qu’il faut continuer nos coutumes d’africains, alors que cela n’a rien à voir avec les blancs ! Seules les femmes savent comment elles souffrent dans la salle d’accouchement. Et le problème c’est que, oui, ces femmes qui souffrent vont aller faire exciser leurs enfants. Ou alors ce sont les grands-parents qui font exciser les petites-filles lors de vacances au village, à l’insu des parents.

La sensibilisation que nous mettons en œuvre marque les esprits peu à peu, le changement va se faire, mais lentement. Il s’opérera notamment grâce aux jeunes qui font des études, surtout des études longues. Je suis allée au Mali et j’ai constaté qu’au Burkina la situation est meilleure. Le Mali est très religieux, ce qui fait perdurer l’excision, y compris chez les intellectuels. C’est moins le cas au Burkina grâce à l’interdiction qui fait peser une menace sur les exciseuses et sur ceux qui leur confient des petites filles.

A Plutôt que de brandir un « bâton » (menace de peines de prison), serait-il envisageable de sensibiliser à l’aide d’une « carotte », c’est-à-dire en faisant miroiter aux hommes une valorisation de leur virilité ? En effet, une femme non excisée prend beaucoup plus de plaisir lors des rapports sexuels, ce qui peut être très valorisant pour son partenaire.

R Vous savez, nous sommes dans une zone à forte influence musulmane où, même pour sensibiliser sur des sujets de santé en apparence anodins nous pesons nos mots. Les tabous sont lourds. Ici il n’y a pas d’éducation sexuelle. Personne ne nous apprend même ce que sont les règles, si ce n’est pas l’école. On apprend tout par nous-mêmes. Même pour les rapports sexuels, c’est une honte, souvent on se cache le visage. Le partenaire fait son affaire puis se lève. C’est un devoir conjugal, les mères le disent à leurs filles. Chez les Mossi une femme doit dormir toujours nue, être prête à tout moment. Le jour de son mariage on met à une femme Mossi un habit blanc. C’est la tradition. Mais avec les nouvelles générations qui ont accès à internet cela va changer. Car la sexualité cela s’apprend. Y compris pour les hommes. La femme souffre lors des rapports. Elle supporte cela par devoir, de peur que son mari aille voir ailleurs si elle refuse. L’infidélité est monnaie courante ici. Les femmes qui veulent quitter leur mari pour cause d’infidélité s’entendent répondre par leurs mères qu’elles doivent supporter. L’homme a ce droit.


Lorsqu’on constate les dégâts provoqués par l’excision on se dit que cette pratique y est pour quelque chose [dans l’adultère des hommes]. Dans presque tous les accouchements de femmes excisées l’épisiotomie bilatérale est nécessaire. Les femmes ont alors peur de tomber enceintes et peur des rapports même. La femme doit supporter les rapports et supporter l’accouchement. Le plaisir a-t-il sa place ici ? Mais je sens que tout cela est en train de changer. J’ai de l’espoir. Et ici il n’y a pas de tabous, je parle de tout avec mes patientes, en toute confidentialité et entre femmes.

 

Nota. Rachel souhaite  poursuivre sa formation grâce à des cours par correspondance dont l'écolage pourrait être accompagné par toute bonne âme sensible à ce qu'accomplit cette magnifique personne.